émeutes 2023
Interprétation par DALL-E du titre : "Révoltes émeutières à la suite de violences policières peint par August Macke"
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A propos des récentes révoltes émeutières : un texte de la revue meeting pour la communisation de 2006

En écho aux révoltes émeutières déclenchées à la suite de l’exécution de Nahel Merzouk par un policier anciennement membre de la CSI 93, nous décidons de republier ce texte de 2006 initialement paru dans le numéro 3 de la Revue Meeting ; revue internationale pour la communisation. Il revient avec intelligence sur les émeutes de novembre 2005, sur les réactions militantes qui ont suivi tout en les mettant en parallèle avec l’analyse du mouvement social contre le CPE qui avait eu lieu juste avant. Même si la situation sociale et le niveau de conflictualité à notablement évolué ces 18 dernières années, en de nombreux points, des parallèles peuvent être tracés avec l’enchainement mouvement contre la réforme des retraites/révoltes émeutières qu’on a pu vivre en 2023. Sa republication est d’autant plus intéressante qu’à notre connaissance ce texte n’est plus disponible en ligne.

« La voiture du voisin »

« Ni le Front populaire ni les communistes qui sont dans les premiers rangs ne brisent les vitres, ne pillent les cafés, ni n’arrachent les drapeaux tricolores » (L’Humanité, éditorial du 7 août 1935, à propos des émeutes ouvrières de Brest)

« Petit, très petit pour son âge, maigre, un visage pôle et des cheveux blonds » (portrait de l’incendiaire du collège Pailleron, Le Nouvel Observateur, n°432, 1973)

À l’occasion des émeutes de novembre puis de certaines pratiques à l’intérieur de la lutte anti-CPE, est apparu un clivage radical entre les analyses de personnes, revues ou groupes « s’occupant de lutte de classe et de révolution ». C’est une véritable frontière qui dans la situation actuelle délimite et délimitera de plus en plus deux camps. D’un côté, ceux pour qui la lutte de classe est une défense de la situation de prolétaire jusqu’à ce que les ouvriers suffisamment unis et puissants prennent en mains la société et affirment leur puissance et leur rôle social de classe en se libérant de la domination capitaliste.

De l’autre, ceux pour qui la lutte de classe s’achève non dans la victoire du prolétariat, mais dans l’abolition de toutes les classes y compris le prolétariat. Il ne s’agit pas d’un suicide social, mais de l’abolition du capital, de la valeur, de l’échange, de la division du travail, de toutes formes de propriété, de l’Etat (ce que l’on peut également formuler comme abolition du travail et de l’économie). Le prolétariat abolit tout ce qu’il est, toutes ses conditions d’existence. Cela, immédiatement dans le processus révolutionnaire à venir, comme condition expresse de sa victoire.

S’il s’agit de deux « visions de la révolution », c’est qu’il s’agit déjà et surtout du cours actuel de la lutte des classes. Le prolétariat ne peut plus s’opposer au capital qu’en remettant en cause le mouvement dans lequel il est lui-même reproduit comme classe, il est en contradiction avec sa propre existence comme classe. C’est maintenant le contenu et l’enjeu de la lutte des classes. C’est agir en tant que classe qui est devenu pour le prolétariat une limite de sa propre lutte en tant que classe. Processus éminemment contradictoire et conflictuel, dès maintenant, dans les luttes elles-mêmes. Mais la dynamique révolutionnaire de la période est là-dedans. Dans les luttes au présent, la magnification du prolétariat montrant sa puissance comme classe confondue avec le procès même de la révolution, « l’usine aux ouvriers » ou toutes les formes possibles du « pouvoir ouvrier » qui ne sont jamais que la gestion du travail productif, de l’échange, de la valeur et finalement de l’État, la défense et illustration d’une classe ouvrière saine dans son unité, sont devenues exactement la glorification du capital et son meilleur rempart. Déjà la période révolutionnaire de l’après-Première Guerre mondiale nous avait montré que la contre-révolution ne pouvait plus qu’être ouvrière, mais à l’époque la révolution ne pouvait également que l’être. Ce n’est plus le cas, non au regard de son sujet, qui est la classe ouvrière, mais au regard de sa réalisation, de son accomplissement, qui ne peut plus être son affirmation. Le combat sera rude et c’est un défi énorme qui se dresse face à la révolution être l’action d’une classe qui s’abolit en tant que classe car c’est là également que la contre-révolution puisera sa force réelle.

Les émeutes de novembre et la lutte anti-CPE, entre autres luttes, ont porté ce débat théorique général dans le quotidien de la lutte des classes, elles en ont fait une question pratique immédiate. Dans un texte intitulé « Lorsque le feu s’en prend aux métropoles » et signé les Indigestes de la République (sur le site de Meeting) l’essentiel est dit : « En face, les vieilles dichotomies sont resservies à chaque fois, pour à tout prix constituer, face à ce que tout un chacun ne veut pas ou plus incarner, un « nous », une ligne de conduite, une communauté d’appartenance solvable. Sans même s’appesantir sur la césure entre immigrés animés du désir de s’intégrer et mauvais étrangers (tant pis d’ailleurs s’il sont français…) dont l’incompatibilité avec les moeurs de la République n’a d’égal que le goût du chaos, il y a l’opposition classique et multiséculaire entre bons et mauvais pauvres, méritants et non méritants : travailleurs, chômeurs et même bourgeois (bohèmes ou pas) tous ensemble unis dans une unanime identification aux bons prolos qui galèrent tous les matins pour aller suer au turbin et gagner difficilement de quoi nourrir leur gentille famille authentiquement ouvrière, et qui en guise de récompense se font cramer leur caisse par des petits agités sans scrupules. Pleurnichons à l’infini sur un travail de merde et un salaire de misère, comme s’il ne restait que ça à quoi se raccrocher, comme si l’amour de l’usine ne permettait plus d’apprécier quelques jours de chômage forcé… Vient ensuite la dissociation consubstantielle aux – déjà anciennes – naissance et croissance du mouvement ouvrier, entre : d’un côté, la classe  ouvrière, classe du travail consciente d’elle-même dressée fière de sa condition dans la lutte pour le  salaire et l’emploi, raisonnable dans ses revendications légitimes, ancrée dans le compromis syndical ou dans la perspective révolutionnaire au cœur du rude combat quotidien pour l’égalité économico-sociale et l’émancipation de toutes-et-tous ; de l’autre : le sous-prolétariat infantile et incontrôlé dont les modes d’action primitifs ne vivent que le temps d’une flambée sans lendemains, dont la vocation est d’être récupérée par la bourgeoisie et dont le principal effet est de venir graisser la machine répressive qui s’abattra sur la classe ouvrière en lutte… Quid de la violence ? D’un côté une violence révolutionnaire salvatrice, saine et juste car destinée faire rendre gorge l’odieux exploiteur. Une violence qui surtout vient en son temps, respectant le timing du Grand Soir et le protocole de la théorie du prolétariat. De l’autre une violence archaïque, absurde, qui frappe à l’aveugle, et de toutes façons inutiles car non-accoucheuse de l’Histoire. Comme si la question était d’opérer sans cesse des discernements (aucune violence prolétarienne n’est « propre », ni inscrite dans l’agenda de la lutte des classes, et tant mieux), et de reléguer dans les limbes de la Révolution à venir l’absolue nécessité de la confrontation : il s’agit plutôt de cerner là où se situe l’antagonisme de classe sans lui accorder de bons ou de mauvais points, et de faire croître l’implosion qui mine la société, ici et maintenant. Postures irréconciliables ? Sans doute. En effet, comment un brave travailleur syndicaliste, convaincu des vertus de la négociation salariale, et son camarade adepte de l’une des chapelles gauchistes, tous deux engagés de tout leur être dans la défense bec et ongle du Service Public peuvent-ils se solidariser avec des jeunes prolétaires qui crament justement des commissariats, des écoles, des postes, des prisons (non ? tant pis), des centres d’impôts, des bus ? Sortons des obscénités sociologiques, des analyses politiques, et plaçons-nous du seul point de vue qui vaille le coup : celui de la classe. Si l’explosion joyeusement incontrôlée a eu lieu, et si elle est appelée à se poursuivre, c’est justement à cause de longues décennies de défilés syndicaux et gauchistes pacifiés, mornes cortèges d’un n enterrement perpétuel de la combativité de classe, avec parfois mais trop rarement des irruptions de fièvre. Des décennies d négociations collectives, de collaboration sociale, de journées nationales d’action perlées et inoffensives, de campagnes électorales et référendaires, de grèves ponctuelles et bornées à tel secteur d’activité, de mobilisations citoyennes… Les incendiaires savent très bien les impasses des canaux traditionnels de la revendication politico sociale, des modalités des luttes dans lesquelles leurs parents se sont engagés et ont perdu. En ce sens, l’incendie s’affirme aussi comme une insurrection interne au prolétariat et peut-être contre une certaine praxis du prolétariat, intégrée aux rouages du capital et assurant sa reproduction. L’incendie est une prise en acte de l’inutilité et de la tristesse des luttes revendicatives actuelles, syndicales, gauchistes, citoyennes, altercapitalistes. Et c’est la conscience de cette inutilité et de cette tristesse, qui, si elle peut un jour conduire à la déréliction et à l’abattement, peut se métaboliser le jour d’après en une pratique subversive et venir happer dans une même force de frappe ceux qui d’habitude se tournent le dos (souligné par nous) : lorsque les prolétaires s’affrontent aux flics et menacent de faire sauter leur usine, lorsque la sauvagerie ouvrière déchire le compromis syndical, lorsque les machines du cauchemar industriel et du contrôle sont sabotées, lorsque une prison ou un centre de rétention implose grâce à une évasion collective, à chaque fois que la monotonie d’une défilé bêlant se brise en même temps que les vitrines, lorsque le feu s’en prend aux métropoles » (« Lorsque le feu s’en prend aux métropoles », Les indigestes de la République).

émeutes 2023
Interprétation par DALL-E du titre : « Révoltes émeutières à la suite de violences policières peint par August Macke »

En ce qui concerne les émeutes de novembre, c’est tout simplement être en-deçà des rapports des Renseignements généraux et des audiences des tribunaux que de ne pas les considérer comme un fait majeur des luttes de classe actuelles. On peut gloser à l’infini et alimenter toutes sortes de débats sans enjeux sur le fait de brûler « la voiture du voisin » ou sur les brûlures d’une handicapée prise dans l’incendie d’un bus. Monter cela en épingle, c’est faire du PPDA sur TH. C’est volontairement masquer dans quel ensemble de cibles (parkings des tribunaux et des bâtiments officiels, agences ANPE, postes de police, entrepôts, entreprises, écoles, collèges, etc.) ces faits se situent. Volontairement, parce que cet ensemble de cibles fait sens pour chacune prise séparément (y compris la « voiture du voisin » ou le bus, instrument du parcage social et du rythme du travail, le bus devenu en outre lieu de combat depuis les lois sur la récidive en cas de fraude). C’est ce sens qu’il faut enfouir sous les cendres de la « voiture du voisin ». Ces jeunes prolétaires souvent n’appartenant même pas à cette catégorie’ que lion se complaît à qualifier d’exclus à seule fin de rendre tellement explicable la révolte qu’elle en perd toute portée, toute signification, se sont attaqués à tout ce qui les définit, tout ce qu’ils sont. Ils n’ont pas glorifié la situation d’ouvrière même s’ils travaillaient, n’ont pas réclamé d travail, même s’ils n’en avaient pas, ou moins d précarité. Ils se sont attaqués, ici et maintenant à leur propre situation. Et ça, c’est un crime de lèse-classe ouvrière appelée à l’avenir radieux du contrôle de Sochaux et de Mirafiori. Il faut voir le désarroi des fossiles de Lutte ouvrière qui dans le numéro du 18 novembre 2005 de leur jour appellent l’État à prendre toutes les mesures qui ressusciteraient la classe ouvrière d’antan pour conjurer la « violence aveugle » (expression répétée jusqu’à l’écœurement) et appellent les « vrais ouvriers », les enseignants, les travailleurs sociaux à s’interposer « entre voitures incendiées et occupation policière » (titre programme d’un article). Pour LO également il n’est question que de la « voiture du voisin ». Il n’est pas jusqu’aux militants syndicalistes-révolutionnaires de la CNT-AIT du quartier du Mirail à Toulouse qui, dans un texte accessible sur le site internet de la CNT-AIT Toulouse et repris dans la brochure d’Échanges et mouvement « La révolte des cités françaises » (avril 2006) se déclarant « solidaires et « compréhensifs » de la révolte enlèvent aux émeutiers leur responsabilité et s’engagent dans des groupes d’interposition entre les « jeunes » (« nos enfants », «protéger les gosses ») et la police : « La police met la pression » ; « on sait trop d’où vient la violence » ; « le groupe informel (membres du PC, quelques chevènementistes, quelques islamistes et les militants de la CNT-AIT) s’interpose devant les forces de répression pour éviter toute nouvelle exaction ». Les militants en question, tout fiers de se retrouver en représentants du peuple, parviennent dans leur texte de deux pages et demie à écrire 10 fois le nom de leur racket dans le cadre de leur pratique concurrentielle à tous les autres et principalement à celui de SUD, sans compter les « nous » et autres « notre position ». Il faut minimiser la violence et surtout en déresponsabiliser les auteurs. Ce n’est pas toujours possible, un épisode de leur récit est particulièrement significatif : « La Reynerie : vers 18 heures, à la Reynerie, divers politicards et militants associatifs (SOS-Racisme, etc.) tentent de prendre contact avec les jeunes. Ceux-ci pas dupes du double discours de ces militants (qui soutiennent l’état d’urgence) leur demandent poliment mais fermement de partir car « on ne vous voit jamais, sauf quand il y a de l’argent à récupérer ». Les politiciens veulent rester là. Pour les faire partir une voiture est lancée dans une école maternelle (en travaux) puis incendiée. Les CRS lancent des grenades et dispersent les politiciens. N’est-ce point là un acte de violence parfaitement responsable et d’une clairvoyance politique immédiate des plus précises ? Il est vrai que si cet épisode est raconté ce n’est que dans le but de montrer la supériorité du militant CNT-AIT sur ses concurrents.

Après l’incendie en 1973 du collège de la rue Pailleron à Paris (suivi de plusieurs autres en province) par un élève, dans un tract rédigé par la revue Le Mouvement communiste (rien à voir avec le groupe politicien actuel Mouvement communiste), repris et un peu réécrit par le groupe Intervention communiste, on pouvait lire : « Incendier son école, c’est le rêve de tout écolier (…). Mais aujourd’hui LES ACTES RESPONSABLES (majuscules soulignées dans le texte) de ces élèves sortent du folklore chahuteur pour signifier dans leur nihilisme le refus de toutes les écoles. (…). Alors qu’ils crient victoire (les gauchistes de tout poil) devant l’inutile boucherie vietnamienne, lorsqu’un incendie réel s’allume sous leurs yeux, ils ne trouvent rien de mieux que d’offrir « aux lycéens et aux travailleurs  » de se transformer en pompiers. (…) Avec les briseurs de pointeuses, les hooligans de Gdansk et les Youngs Hooligans irlandais, avec les pillards du Quartier latin et les « absents » de FIAT, de Lordstown et d’ailleurs, ils (les incendiaires de collèges) apparaissent aujourd’hui comme un moment du renouveau du mouvement communiste et à ce titre ne sont plus ni terroristes, ni provocateurs, ni voyous, mais prolétaires. Déclassés et dévalorisés, rejetés du processus productif avant même d’y être entrés, on leur dénie toute valeur parce que dans l’économie moderne leur humanité n’a plus de valeur marchande. Comment donc pourraient en avoir pour eux quatre planches et trois poutrelles métalliques, qui de plus représentent la somme de toutes les humiliations, de tous les ennuis et de toutes les contraintes. ».

Il est une autre façon de déresponsabiliser les émeutiers, c’est de tant expliquer la misère que la révolte contre elle n’est que son envers, n’est pas une action, elle se réduit à ses causes. C’est ainsi que la grosse brochure D’Echanges et mouvement intitulée « la révolte des cités » ne dit rien sur cette révolte. On est tenté de penser, avec un brin de polémique, qu’avec tout ce que les auteurs savent sur les banlieues si, en plus, ils avaient appris qu’il avait eu des émeutes, ils auraient certainement écrit quelque chose de passionnant. Le principe méthodologique et politique mis en œuvre par tous ces gens est celui de la légitimation. Ce principe est remarquablement décrit et critiqué dans le texte « Lorsque le feu s’en prend aux métropoles », déjà cité ici. « Ils ont raison de se révolter », « ils en ont marre de subir au quotidien la violence de cette société », « Ils se sentent exclus de tout », « Leur révolte est légitime et on doit la comprendre » etc. Comme si l’incendie appelait sa rescousse une instance de légitimation qui lui est exogène, pour rendre acceptable et intelligible ce qu’il est, pour fournir à l’insaisissable une continuité politique et pourquoi pas déboucher sur « quelque chose ». Mais ce qui se passe est là pour démontrer qu’il n’y a rien sur quoi déboucher. L’invocation perpétuelle de la légitimité est de surcroît assez étrange. En instituant une zone supérieure de principes universels auxquels on doit se référer pour évaluer la justesse et la pertinence de telle ou telle action, elle constitue une autorité concurrente de celle du domaine de la loi. Mais qui définit ces principes, et au nom de quoi ? Ce qui est défini à travers le prisme juridico-judiciaire comme crime ou délit est réinterprété à la lumière de la légitimité pour retrouver toute sa dignité (…). En opérant une symétrie par rapport à la zone de la légalité, l’invocation de la légitimité procède en fait à un odieux mimétisme avec les catégories de l’Etat et de la justice. »

Lors de la couverture des manifestations anti-CPE, les émules de PPDA ont repris du service : « la bonne jeunesse, composée de manifestants pacifiques, a peur » (comme la France d’antan). Des « bandes organisées » ont attaqué d’authentiques « manifestants pacifiques (tract de Mouvement communiste, daté du 27 mars 2006. L’authentique manifestant est-il « authentique » parce que « pacifique » ou « pacifique » parce qu’« authentique » ; l’authentique imbécile est-il imbécile parce qu’à Mouvement communiste ou a Mouvement communiste parce qu’imbécile ?,Ces attaques sont parfaitement exactes, il y a même eu des débuts d’échauffourées avec des manifestants « inauthentiques » et non- pacifiques (vite réglées). Ces « bandes organisées » ne se contenteraient pas d’être d’« inauthentiques manifestants », ils seraient même, parait-il, d’authentiques flics : « Il faut également que le mouvement se préserve des provocateurs en bande qui on sévi en nombre contre des manifestants pacifiques, lors des derniers défilés parisiens. Se défendre n’est pas un luxe, c’est désormais devenu une nécessité. La peur ne doit pas s’installer dans nos rangs. Ces bandes organisées dont le jeu des forces de répression. Pire, elles font leur travail » (tract de MC). Il faut comprendre ce que les mots veulent dire « provocateurs » veut dire « flics », tout simplement.

Il est un fait : sans fausse conscience, sans baratin antiraciste ou antifasciste, c’est enfoncer une porte ouverte que de dire :« Il faut se défendre et ne pas se laisser éclater la tête par quiconque. » Mais, s’il faut se défendre contre ces agressions, ces agressions sont des faits et en tant que tels il faut les comprendre non pas moralement, encore moins policièrement, mais théoriquement. « Non au CPE ! », il existe une grande partie de la population pour qui ça ne change déjà plus rien. Il faut tout simplement commencer par prendre en compte son existence, cela dût-il gêner les rêves révolutionnaires sur la belle classe ouvrière travailleuse et consciente, pour comprendre comment certains peuvent être amenés à agir. Cela ne fait pas, loin de là, de ces jeunes un « nouveau sujet révolutionnaire » (le « lascar de banlieue » venant remplacer dans les rêves de vieux situationnistes les « blousons noirs politisés » de 1968) ou le parangon de la révolutionnarité. Il s’agit seulement d’acteurs impliqués dans la lutte de classe telle qu’elle se présente aujourd’hui avec ses contradictions internes à la classe et internes à la dynamique particulière du mouvement anti­-CPE (voir les textes « Le point de rupture… » et « Le point d’explosion de la revendication »). Les jeunes de banlieues mais aussi les marginaux de tous les systèmes scolaires ne pouvaient qu’être là, mais leur seule présence était la manifestation physique (personnalisée) de l’inanité de la revendication du retrait du CPE, une telle nature du rapport à l’intérieur du mouvement entre ses divers éléments ne prend pas la forme du cours d’un long fleuve tranquille. La dynamique était contradictoire, une contradiction pouvant aller jusqu’à la violence entre les acteurs. Sans se poser en victimes expiatoires, certaines AG étudiantes ont même reconnu les causes de ces violences dans le manque d’approfondissement du mouvement sur la généralisation de la précarité comme situation d’ensemble de la force de travail.

La révolution, dans la mesure où elle sera l’abolition par le prolétariat de ses conditions d’existence (ce qui fait qu’il est), de tout ce qui le définit, l’abolition de lui-même, ne sera pas un dîner de gala et n’ira pas sans violences internes (Spinoza disait, en gros, qu’il est dans la nature de tout être de persévérer dans son être). Si la poursuite de l’unité de la classe est illusoire, l’attitude consistant à valoriser ces violences est encore pire. Dans sa dynamique, le mouvement anti-CPE tendait à dépasser la revendication du seul retrait du CPE, cela ne pouvait aller sans conflits. Dépasser ces conflits, c’était mettre en pratique l’élargissement du mouvement à la précarisation générale de la force de travail, c’est précisément ce vers quoi, avec toutes sortes de limites, qui n’étaient que celles générales du mouvement, ont tendu les occupants de l’EHESS. Ceux-là mêmes que dans une cascade d’amalgames (provocateurs / étrangers au mouvement / occupants de l’EHES / flics), le même tract de MC décrit ainsi : « Pour leur part, des éléments souvent étrangers à la lutte et qui se disent très radicaux ont tantôt exalté ces actes de pillage en les reliant aux « émeutes des banlieues « de novembre 2005, tantôt refusé de les combattre sous prétexte que leur priorité est de s’affronter aux flics. Ces révolutionnaires de pacotille n’ont pas à cœur le développement du mouvement contre le CPE / CNE. Ils préfèrent mener des actions certes très médiatiques mais parfaitement contre-productives, à l’image de l’occupation /dévastation de l’EHESS. ».

Passons sur le langage convenu du flic syndical stalinien sur les « étrangers à la lutte » et qui valent bien les « anarchiste du XVIème », du pâtissier Jacques Duclos après Mai 68 (« on tuera tous les pâtissiers et les kominterniens » ; « pourquoi les kominterniens ? »). Le problème c’est ces « éléments très radicaux » se sont, comme par hasard, multipliés chez les lycéens, étudiants, et au-delà des supposés « activistes professionnels ». Il faut maintenant que ces « éléments très radicaux », ces « révolutionnaires de pacotille » (certainement le contraire du « révolutionnaire professionnel ») apprennent à se défendre contre les agressions.

Ce type de commentaires a traversé toute la palette des organisations, groupes, revues, engagés dans la lutte anti-CPE. La formulation est différente selon les bases idéologiques et les aspirations politiques, entre ceux très investis dans la démocratie radicale (PCF, LCR, syndicalistes…), ceux très scotchés à la glorieuse affirmation de la classe ouvrière (LO, CCI, MC…) et même au-delà chez de plus « libertaires ou post-situs comme François Longchampt, avec les variantes intermédiaires de circonstances. Tous se rendent bien compte que leurs fondements théoriques ne sont plus du tout à même de rendre compte de ce qui se passe. Alors les discours tranchent dans le vif : « racaille », « casseurs », « révolutionnaires de pacotilles », « étrangers au mouvement », tiennent lieu d’analyse. Tout à leur application d’un schéma, sans se préoccuper des expériences réelles, il suffit de ressasser une grille de lecture ponctuée de « doit faire » et « il faut ». Cela produit toutes sortes de contorsions que seul le discours préformaté de l’orga peut recadrer.

Quand je dis toute la palette des anti-CPE, je suis gentiment réducteur, puisqu’on retrouve le même fond chez ceux qui, au pouvoir, ont voulu distinguer « vrais manifestants » et « casseurs » au moment où la distinction devenait des plus délicates et ce malgré les « dépouilles ». Il fallait relégitimer les opposants stricts au CPE et leurs représentants (être contre ces représentants n’a pas empêché tous ces gauchistes de se laisser embarquer dans la manœuvre). Dans tous les commentaires, on trouve le souci très louable d’élargir la lutte. Pour les plus militants, la critique des grandes organisations signifie que cet élargissement doit être autonome, il faut venir en aide aux salariés qui n’ont pas la force de se révolter, il faut diriger les actions vers tous les lieux d’utilisation massive de la main-d’œuvre précaire. Hormis que tout cela est comme d’habitude annoncé à grands coups d’injonctions sur ce qui « doit être fait » et de « il faut », je pourrais être d’accord. C’est précisément ce que certains d’entre nous, à partir de leur propre situation, avaient entrepris, dépassant le stade de l’exhortation, avec l’occupation de l’EHESS. Mais on doit se demander quelle est la problématique dans laquelle on souhaite engager cet élargissement. Quelle est la problématique de cette lutte contre la précarité ? On s’aperçoit qu’il ne s’agit pas de prendre acte de ce qu’elle est l’organisation générale du marché du travail et de l’exploitation de la classe ouvrière, et que lutter contre elle c’est lutter contre l’existence même de quelque chose qui soit « la force de travail » ; il s’agit de préserver la classe de cette précarité qui la mine en tant que porteuse du grand programme de sa constitution en puissance politique. Il s’agit de revenir ou de préserver un état antérieur, de faire « reculer » le patronat et l’Etat. Il ne s’agit pas de dépasser la situation présente à partir d’elle-même, mais de revenir à la situation antérieure.

 Toutes ces positions qui sont apparues à la suite des émeutes de novembre et au cours la lutte anti-CPE sont des positions politiques et théoriques qu’il faut traiter en tant que telles : comme ce que nous avons à combattre. Il ne s’agit pas de quelque chose qui ne serait qu’un simple débat sur l’avenir, sur une conception de la révolution, mais de quelque chose qui est au présent, a sa réalité actuelle dans la lutte des classes. Défendant le prolétariat, ceux qui dès maintenant sont les représentants de ces          positions politiques et théoriques se préparent et se manifestent déjà, dans la mesure de leur possibilité, à faire office de police contre tout mouvement ou dynamique de lutte qui pourraient contenir pour le prolétariat sa remise en cause. Il est devenu évident qu’ils se rallieront à toutes les forces du capital pourvu qu’elles préservent une existence du prolétariat qu’ils posent en idéal. Ce qui est la contre-révolution même. Ils n’en seront eux-mêmes que les supplétifs, dans la mesure où c’est la classe capitaliste elle-même qui deviendra la grande gardienne de la classe ouvrière.

La prochaine révolution aura à dépasser et à abattre toutes les formes d’ouvriérisme y compris les conseils ouvriers, non parce qu’ils seront de « faux conseils », mais parce qu’ils seront les vrais et les seuls conseils de cette période. Cette révolution se trouvera non pas à devoir achever tout ce qui avait été commencé dans les révolutions précédentes, amis se trouvera face justement à ce que tous les partis et les syndicats du mouvement ouvrier avaient combattu et qu’ils prendront alors en charge. Elle n’aura pas dace à elle des formes politiques de la contre-révolution amis des formes sociales. Les conseils ouvriers (ou toute autre forme au contenu semblable), là ou le développement actuel du capital aura laissé la possibilité d’en former, seront la justification de la contre-révolution. La classe révolutionnaire est le prolétariat et même au sens strict en tant que classe des travailleurs productifs de plus-value, mais si la révolution peut partir des usines elle ne pourra y rester et aura à dépasser toute forme d’appropriation des usines. Cette révolution est celle de l’époque où la contradiction entre les classes se situe au niveau de leur implication réciproque et de leur reproduction et « le maillon le plus faible » de cette contradiction, l’exploitation qui relie les classes entre elles, se situe dans les moments de la reproduction sociale de la force de travail, là où justement, loin de s’affirmer, la définition du prolétariat comme classe du travail productif apparaît toujours (et de plus en plus dans les formes actuelles de la reproduction) comme contingente et aléatoire, non seulement pour chaque prolétaire en particulier, mais structurellement pour l’ensemble de la classe. La révolution investira la production pour l’abolir en tant que moment particulier des rapports entre les hommes et abolir par là-même le travail dans l’abolition du travail salarié, c’est ainsi qu’elle pourra dépasser les premiers moments d’appropriation. C’est dans ce procès de la révolution que la propre définition du prolétariat comme classe des travailleurs productifs apparaîtra réellement, en actes, comme limitée. La définition du prolétariat n’est plus une catégorie socio-économique, tout comme celle de la classe capitaliste, mais la polarisation comme activités des termes de la contradiction qu’est l’exploitation, la révolution aura à affronter la sclérose de la définition de la classe comme catégorie socio-économique, ce ne sera pas une question intellectuelle revenant à savoir qui est qui car cette sclérose sera une pratique intriquant la révolution et la contre-révolution.

Louis Martin

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Ecrit par
Ben.Malacki
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Tu ne pourrais pas désirer être née à une meilleure époque que celle-ci où on a tout perdu

— Simone Weil, Cahiers

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